Elisabeth de Fontenay – Le silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité – Fayard

Le silence des bêtes est inversement proportionnel aux longs discours de l’homme et du philosophe autour de lui-même. Le philosophe glougloute, blablate, criaille, piaule, turlute, bouboule ou glapit autour de l’animal, de sa place ou de son abscence de place dans la vie des hommes. Bref l’homme philosophe surtout autour de son petit nombril et cela donne des tonnes de papier et des hectolitres d’encre sur la condition animale, mais bien peu de la moindre trace de respect pour ses autres qui nous environnement et partagent avec nous la vaste croute terrestre.

9782213600451-T_0Trois mille ans de philosophie pour en arriver aux premiers résultats concrets d’une cause animale enfin reconnue, avec l’idée d’un droit des animaux et peut être même d’une justice pour les animaux. Trois mille ans de massacres et des violence pour en arriver aux usines de morts et de torture qui nous fournissent jour après jour notre pain quotidien et peu de divinité pour encore prier pour nous pauvres pêcheurs.

Dans son roboratif essau, la philosophe et chroniqueuse radio Elisabeth de Fontenay dresse le long parcours de la pensée occidentale philosophico-religieuse autour de l’animal, de sa place dans notre environnement réel ou fantasmé, son rôle dans nos pratiques religieuse et le peu de respect que ces êtres pensants ont inspiré à la majorité des penseurs de l’humanisme occidental. Une piste à creuser pour expliquer les formidables dérives que cet humanisme a autorisé que ce soit dans la justification de l’esclavage ou du massacre des « autres » venus de ces lointaines terres d’Amérique ou d’Asie.

Le livre est long, parfois trop, notamment dans la longue litanie de tous les penseurs qui n’ont guère pensé l’animal autrement que comme objet d’un sacrifice rituel ou nutritif. Mais il donne aussi l’opportunité de découvrir ou de re-découvrir que certains penseurs ont très tôt compris que l’homme ne peut s’abstraire de son essence animale sans tomber dans une forme ou une autre de barbarie. Dans son dernier paragraphe, ce sont les penseurs de régimes totalitaires, souvent victimes eux-mêmes, qui ont rappelé que les systèmes concentrationnaires sont aussi nés dans le coeur et les reins de ceux pour qui la vie n’est rien, quand elle appartient à un autre jugé trop différent, inférieur ou mauvais.

Le silence des bêtes, c’est le cri strident d’une humanité trop imbue d’elle-même pour se souvenir même des règles évidentes de survie, incapable de cette tempérance que les grecs vénéraient tant et pratiquaient si peu dans la réalité. C’est aussi le silence tragique de celles et ceux qui estiment pouvoir aimer autant les animaux que les hommes sans pour autant être condamné au bûcher par les apologues d’un Homme hors de contrôle. Rappelons ici la phrase d’Adorno qui conlut le chapitre 19 : « Le propriétaire d’un hôtel, qui s’appelait Adam, tuait à coups de gourdin et sous les yeux de l’enfant qui l’aimait bien des rats qui par des trous dévalaient dans la cour; c’est à son image que l’enfant s’est formé celle du premier homme. »

Certes les animaux ne pensent guère les homo sapiens, mais chaque jour ils souffrent de son insupportable hybris et de sa soumission à la folie prométhéenne. Et malheureusement la philosophie refusant tout dialogue avec l’éthologie, le présent essai souffre d’une aridité toute humaniste.

Verbatim – Claude Levi-Strauss

Cité par Elisabeth de Fontenay dans Le Silence des bêtes

« C’est maintenant […] qu’exposant les tares d’un humanisme décidément incapable de fonder chez l’homme l’exercice de la vertu, la pensée de Rousseau peut nous aider à rejeter l’illusion dont nous sommes, hélas! en mesure d’observer en nous-mêmes et sur nous-mêmes les funestes effets. Car n’est-ce-pas le mythe de la dignité exclusive de la nature humaine qui a fait essuyer à la nature elle-même une première mutilation, dont devait inévitablement s’ensuivre d’autres mutilations? On a commencé de couper l’homme de la nature et par le constituer en règne souverain; on a cru ainsi effacer son caractère le plus irrécusable, à savoir qu’il est d’abord un être vivant. Et, en restant aveugle à cette propriété commune, on a donné champ livre à tous les abus. Jamais mieux qu’au terme des quatre derniers siècles de son histoire, l’homme occidental ne put-il comprendre qu’en s’arrogeant le droit de séparer radicalement l’humanité de l’animalité, en accordant à l’une tout ce qu’il retirait à l’autre, il ouvrait le cycle maudit, et que la même frontière constamment reculée, servirait à écarter des hommes d’autres hommes, et à revendiquer au profit de minorités toujours plus restreintes le privilège d’un humanisme corrompu aussitôt né pour avoir emprunté à l’amour-propre son principe et sa notion. » (Anthropologie Structurale)