Saul Bellow – Mémoires de Mosby et autres nouvelles (trad. Jean Rosenthal) – Gallimard/L’Imaginaire

Nous ne faisons que passer sur cette petite planète et pour nombre d’entre nous ce passage est d’une insondable tristesse. Certains écrivains ont l’art et la manière de nous parler de cette ineffable tristesse, de ces longs moments où  nous ne sommes ni glorieux, ni forts, ni remarquablement intelligents. Hattie est une vieille ivrogne absurdement attachée à sa « maison », un médecin juif qui nous apprend à décoder les humeurs familiales dans la chimie de notre cerveau et enfin un diplomate, écrasé par le soleil mexicain. Avec ces trois personnages à la fois burlesques et tragiques Saul Below nous montre que le destin est cruel et que nous n’échappons jamais à ses saillies brutales.

Hattie vit dans le désert, ses voisins l’apprécient, mais de toutes évidence la vieille dame n’est pas parvenue à trouver sa place dans cet environnement exigeant. L’alcool est devenu son unique soutien et la source de tous ses maux. Malgré sa certitude d’appartenir à la race des pionniers, elle n’est qu’une pauvre vieille femme, arc-boutée sur ses rêves et sur sa jolie maison jaune. Lorsqu’on lui propose de l’argent pour y faire loger des touristes, elle prend ça pour une nouvelle tentative pour la chasser de son ultime refuge. Saul Bellow dépeint avec art l’inexorable naufrage d’une femme qui a été aimé et qui un jour a pris la mauvaise voie et n’a jamais pu revenir vers sa lumière.

Avec le docteur Braun, on découvre comment une famille se déchire pour de l’argent. Un vieux système, le plus vieux système du monde, celui où l’un réussit mieux que l’autre et où la jalousie déchire tout. Devenu vieux, le docteur se penche sur son passé, sur ses rencontres, ses choix, et sur la mort touchant ses proches. Pourquoi tant d’émotions viennent brutalement s’ingérer dans les histoires humaines, pourquoi ne pas garder un distant sur ce qui se passe autour de nous. Pourquoi la douleur après chaque perte, alors que la nature nous apprend que nous naissons pour mourir. Arrivé au bout de sa propre existence le docteur Braun interroge le sens de la vie, de la survie, sur le théatre absurde de nos existences.

Dans la nouvelle éponyme de ce recueil, un vieux diplomate échoué sous le soleil trop brûlant du Mexique, se souvient que l’homme si prompt à se hausser du col est surtout l’animal le plus prompt à salir son propre nid. Et qui mieux qu’un diplomate ayant vu les vadrouillé au cœur du XXè siècle peut l’affirmer. A force de croiser la laideur la plus repoussante chez ceux qui sont supposés incarnés l’intérêt suprême de leur peuple, le vieux diplomate finit par ne plus supporter la barbarie des hommes les uns envers les autres.

Saul Bellow dans ce recueil interroge notre capacité d’empathie, nos souvenirs et notre capacité de construire une vie belle. Et il semble, malheureusement, que cette capacité ne soit pas particulièrement développées au regard de notre insondable inventivité pour pourrir la vie de nos contemporains quels qu’ils soient. L’humour de Bellow ne parvient pas à cacher une sorte de détresse qui s’incarne dans les dernières lignes de chaque nouvelle. Un appel désespéré à un être supérieur trop lointain, trop silencieux, inatteignable même au désespoir. Un rappel également que nous sommes tous sur le même bateau et qu’il serait temps pour nous de nous y comporter avec la civilité que notre « intelligence supérieure » devrait exiger.

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