Domination….

Je suis généralement d’accord avec les propos de Judith Butler dans cet article. Sauf sur la question du voile. Je reconnais la position américaine ultra libérale en matière de pratiques religieuses. Ce que je ne comprends pas c’est comment une philosophe théorisant avec talent le poids des dominations sur les minorités peut légitimer une de ses formes les plus caricaturales et symboliquement violentes .Elle nous dit dans cet article que c’est un moyen pour ces femmes qui « choisissent » le voile de s’enraciner dans leur culture. Donc le choix de l’excision des petites filles doit être maintenu au prétexte qu’il est une pratique culturelle, tout comme la lapidation des femmes adultères? On peut même dire que le refus de certains états d’autoriser le recours à l’avortement ou de l’encadrer très strictement est aussi une pratique culturelle acceptable….

Non l’argument ne tient décidément pas.

Le voile est un artefact de la domination patriarcale et religieuse sur les femmes, il s’inscrit une longue histoire de mise en coupe réglée des femmes et de leurs ventres que Françoise Héritier a fort bien expliqué. Alors pourquoi, alors que Judith Butler est une partisane sans contestation possible de la lutte contre les formes diverses de domination, admet-elle cette domination particulière?

Mon hypothèse s’appuie sur sa définition des forces dominantes dans le contexte intellectuel états-unien. Comme elle le rappelle au début de l’entretien, l’ennemi s’incarne dans l’homme, blanc, hétéro. Il est la figure dominante contre laquelle les femmes, les gays et les noirs-américains, mais aussi les musulmans américains se sont dressés dans les années 60 pour reformuler une histoire vue du point de vue des dominés. On sait les dérives ridicules qui en ont parfois découlé: dénonciation de certains auteurs et « nettoyage » des bibliothèques, procès en sorcellerie…. Judith Butler semble ainsi oublier que la domination n’a pas de couleur. Blanche, noire, bistre, jaune, rouge ou grise, elle est le fait des hommes contre les femmes, parce que les femmes bénéficiaient de ce redoutable pouvoir de donner naissance au même et au différent, et que les hommes voyaient dans ce pouvoir une remise en cause possible des sociétés humaines nouvellement apparues. Le voile n’est pas un  choix, il est le symbole de l’infériorisation et de l’infantilisation. Que certaines femmes se plaisent dans leurs chaînes ne signifient pas que la société doivent le supporter dans son champ public. Qu’une femme se voile en privé ne regarde qu’elle, mais qu’elle impose ce signe ostensible de rejet de l’autre non religieux ou différement religieux et de soumission sexuelle à la société civile n’est pas anodin.

La société américaine a choisi de tolérer toutes les sectes et leurs expressions diverses, la France a fait le choix de ne pas accepter n’importe quelle expression et c’est son choix de société.

Eli Flory – La barbe d’Olympe de Gouges et autre objets de scandales – Alma éditeur

barbe0Il faut une énergie folle pour rendre aux femmes les semelles de vent que l’ordre patriarcal et religieux leur a dérobées. Il faut de l’humour pour les débarrasser de la gangue de glaise lourde qui les assimile à un côté de l’homme. Il faut enfin du talent pour rassembler ses soeurs disparates et leur rendre la liberté qu’elles ont un jour ou l’autre réclamée à corps et à cri. On retrouve tout cela sous la plume alerte d’Eli Flory et on sort revigorée et forte de toutes ces soeurs en humanité qui dans des espaces et des temps bien moins favorables ont sû jouer des codes et parfois des coudes pour venir chatouiller nos frères sur leur scène de théatre égotique.

Scandaleuses, les femmes qui reprennent couleurs et formes sous la plume de l’auteur, le sont sans aucun doute, puisqu’elles osent défier la domination « naturelle » celle que certaine Manif pour tous voudrait revivifier, des mâles. Que ce soit sur des terrains très sérieux: la politique, la guerre, l’écriture, la peinture ou la science ou plus fangeux, le sexe tarifé et la coquetterie, parfois sur les deux, les femmes rassemblées ici nous sont enfin rendues dans toutes leurs grâces et complexité. Et il faut reconnaître que cela fait du bien à l’âme de se trouver en la seule compagnie d’une foule de dames pour faire un tour de notre grande histoire. Les hommes ici sont enfin abonnés aux strapontins.

Mais l’auteure ne nous convie pas à un voyage en admiration dévote. Ces dames ne sont pas toutes des héroines ou des premiers prix de vertu. L’hagiographie n’est pas un défaut de l’écriture des femmes. Elles brillent de toute leur complexité, parfois du charme vénéneux de la cocotte sans foi ni loi, mais après tout, parfois brisée par les lois d’airain de leurs temps. La liberté est une catin versatile mais tellement séduisante.

A noter le travail de l’illustratrice Vaïnui de Castelbajac, drôle et impertinent qui met joliment en scène certaines des dames du livre.

On referme ce livre euphorique et tenaillée par une furieuse envie d’arracher les derniers centimètres de glaise qui nous oppressent encore pour réclamer ce qui nous est encore dû: l’égalité dans la sororité, puisque la fraternité nous est toujours refusée.

Sur le site de l’éditeur