David Grossman – Un cheval entre dans un bar (trad. Nicolas Weill) – Seuil

http://www.seuil.com/livre-9782021224801.htm

Il y a des romans étranges qui décrivent le plus parfaitement une situation géopolitique. Un destin individuel qui raconte la complexité d’une Histoire et d’une Géographie. L’auteur israélien David Grossman, comme beaucoup d’auteurs israéliens sont des maîtres en la matière. D’un petit fil fragile, il tire la trame du destin collectif. C’est d’une manière particulièrement étrange et fine qu’il réalise ce nouvel exploit avec Un cheval entre dans un bar. L’apparente absurdité de ce stand up qui tourne inexorablement à l’examen de conscience entre rire torve et larmes amères permet de dire les difficultés de vivre dans une zone de guerre, entre deux terres où les extrémistes semblent avoir la bride lâchée depuis plus de soixante ans.

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Dovalé, humoriste un peu râté, joue les provocateurs à la petite semaine sur la scène d’une petite ville provinciale et sans grand intérêt. Il assène les blagues salaces et les attaques en règle des spectateurs, images presque irréelles d’une société fragile. Face au comique, un homme observe du fond de la salle. Il ne semble pas particulièrement heureux d’être là, mais au fur et à mesure que le jeu de l’acteur sur scène se ramifie, il devient de plus en plus attentif, de plus en plus conscient que ce qui se joue sur scène est le drame d’une vie marquée par l’héritage insupportable de la Shoah.

Commence alors un dialogue complexe entre l’homme en rupture sur scène et divers intervenants dans la salle. Les histoires deviennent l’Histoire d’une nation vivant tiraillée entre sa certitude de devoir se battre chaque jour pour sa survie et l’envie de tout oublier pour n’être plus que des citoyens sans histoire. La finesse du tissage éclate dans toutes les bizarreries du dessin qui prend forme sous nos yeux. David Grossman se sert du fantasque Dovalé pour raconter l’absurdité d’un quotidien marqué par la crainte. L’humanité qui éclate dans cette fragilité brise le miroir des certitudes tendu par des médias avides de Vérités et de Certitudes et nous permet de comprendre que là comme ailleurs, la vie n’est qu’une succession de moments les uns tragiques, les autres magiques, la plupart sans grand intérêt.

L’avis de Télérama