Anjana Appachana – L’année des secrets (trad. Catherine Richard) – Zulma

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Très, très bon roman d’Anja Appachana, qui après avoir exploré l’imaginaire indien, s’attaque à un sujet autrement compliqué le coeur et l’âme des femmes. Des soeurs, des amies, des filles et des mères, trois générations qui se soutiennent ou se 9782843045950FS détestent et qui tentent de vivre dans un monde où les fils, les maris et les pères sont les maîtres absolus. Ce que souligne remarquabkement Anjana Appachana, c’est la dureté des mères et des belles-mères avec leur filles et la volonté forcenée et passant de génération en génération de maintenir les garçons dans une position de dominant: ils sont désirés là où les filles sont tolérées, ils ont le droit à plus d’amour, plus de nourriture, plus de place partout et tout le temps. C’est dans cet univers profondément inégalitaire que les filles doivent malgré tout s’épanouir. Mais même les plus modernes, les plus ouvertes sur le monde, les plus cultivées reproduisent le modèle dans lequel elles ont grandi, faisant de leurs filles des victimes de la prééminence des garçons.

L’auteure tisse sa toile autour d’un secret, bien gardé pendant les deux tiers du roman et qui jusqu’au bout garde le lecteur attentif à comprendre les ressorts qui ont provoqué un tel enchaînement de drames. Elle donne la parole à une petite fille grandie trop vite, puis à sa mère, sa tante, à leurs amies et à sa grand mère maternelle. Des femmes aux attentes trop fréquemment déçues et qui ont conçu pour se défendre de la lourdeur du quotidien une intimité amicale mais aussi des jardins secrets. Ce qui ressort de ces témoignages c’est le drame d’être une femme dans un pays qui ne les aime guère. Malgré la culture et l’intelligence, ces femmes devenues épouses puis mères ne parviennent pas à s’affranchir des règles non écrites. Elles doivent affronter des belles-familles détestables, des maris absents ou incapables de voir leur détresse. Elles se voient reprocher d’être aigries et trop fragiles, mais elles tiennent le cap malgré tout.
Ces desperate housewilves indiennes reproduisent malgré elles les modèles anciens: on chouchoute les garçons, on délaisse les filles. Cela donne des pages d’une rare cruauté sur les rapports entre ces mères et leurs filles incapables de comprendre cette injustice flagrante et cherchant à toute force à trouver auprès de leur mère, l’amour qu’elles sont prêtes à donner.

Anjana Appachana ne cherche nullement à dresser les genres les uns contre les autres, elle montre avec art la difficulté de ne pas tomber dans les travers d’une société et la vitesse à laquelle un couple se délite dans un quotidien d’incompréhensions et de silences, et l’importance, pour continuer à avancer, de trouver des alliées.

Un roman à voix multiples mais dont le choeur lourd est celui du destin des femmes dans des sociétés patriarcales et la quasi impossibilité de ne pas reproduire les erreurs des aînées. Une analyse romanesque que la sociologue et résistante Germaine Tillon a très bien décrit.