Y a t’il une spécificité féminine irréductible aux cultures locales? C’est ce que semble démentir Sefi Atta et pourtant c’est ce qu’on ressent à la lecture de ses romans. Comme si ses héroines nigérianes, parties tentées l’aventure étrangère, mais toujours irrémédiablement attirée par leur terre natale, se fondaient sans bruit dans le grand être féminin, celui de la reproduction de l’espèce, quasi obligatoire, celui de la difficulté de s’arracher aux lourdeurs culturelles et familiales, celui de la dure confrontation au monde du travail où on attend toujours autre chose de celles qui comme leurs congènéres masculins tentent de survivre dans la grande et ténébreuse économie du marché de tous contre tous.
Sefi Atta n’est pas dans le pathos, ni dans la mièvrerie. Elle aime les femmes, les modernes, les anciennes, les traditionnelles et les divergentes. Elles en parlent avec générosité et tendresse, mais n’évite jamais les coups de griffe sur les mauvais côtés, les vilaines manipulations et les désastreuses tendances à juger. Elle décrit avec finesse et un humour parfois caustique le quotidien d’une quadra nigériane, exilée à Londres dans une société d’aide aux ONG, hésiter entre sa vie tranquille mais froide à Londres et le retour bruyant et éreintant auprès des siens à Lagos. Déola regarde avec un peu de condescendance les aléas personnels traversés par ses soeurs, cousines et tantes auprès de maris fugueurs, menteurs et éternellement adolescents. Elle écoute les craintes de la transmission du SIDA dans le sein de la famille et critique les cris d’orfraie des femmes de sa famille incapables de vivre loin des hommes.
Une aventure d’un soir conduit la jeune femme à être d’un seul coup moins dure avec les siennes et plus critiques envers sa propre vie. L’accident de préservatif qui jette le doute sur la maladie puis sur la grossesse montre à la fois la solitiude face à la peur mais également le soutien même critique de sa famille. Elle découvre aussi que l’acculturation est parfois un moyen de survie pour ceux et celles qui refusent les normes terribles imposées par le groupe, notamment sur les questions d’orientation sexuelle.
Ce roman construit autour d’un moment de la vie de Déola parle de nous toutes, de nos doutes, de nos peurs, des lourdes pressions sociales et de la difficile et solitaire liberté. Comme dans ses précédents romans, l’auteure pose de loin en loin la question des rapports en blancs et noirs, entre Afrique et Occident. Elle analyse en quelques mots le rapport de dépendance/défiance qui anime les deux parties et la difficile marche de l’Afrique vers l’autonomie, autonomie largement combattue par un occident très conscient des richesses qui pourraient lui échapper. De la belle littérature…