Café Society – Woody Allen

Un film léger, élégant, raffiné, une bluette qui se regarde avec plaisir, bercé par ce merveilleux jazz des années 20-30, quand tout semblait possible, tout était sans importance. L’amour est un rêve qu’il faut savoir déguster avec art et abandonner quelque part dans un recoin secret de son esprit.

On sent la mélancolie profonde de Woody Allen dans ce film, sa certitude de l’impermanence des choses et de la nécessaire « déshadérence » au monde pour s’arracher à la fange du réel. Curieux de voir ce film à la lumière de la prose de François Jullien.

Je reste pourtant sceptique sur le choix des acteurs. Ils sont à la fois parfaits et tristement mauvais. Parfaits car leurs silhouettes épousent comme un gant le temps du film. Mauvais car ils sont mauvais, fades, artificiels.

Qu’importe, j’ai adoré la bande son, les images toujours léchées et ce moment de disparition au fond d’une salle obscure. Merci Woody.

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High Rise – Ben Wheatley

Toujours passionnantes et dérangeantes les adaptations des romans de l’écrivain et terriblement visionnaires J.G. Ballard. Dans cette vision apocalyptique des conséquences d’une étrange expérimentation architecturale et sociale, le réalisateur Ben Wheatley nous offre un film hystérique et orgiaque dans lequel les acteurs semblent s’épanouir comme des poissons fous dans une eau fangeuse. Avoir gardé la périodicité du roman permet de voir la formidable modernité du roman de Ballard annonçant l’aliénation technophile, l’explosion de haine de classe, la débauche d’une classe odieusement riche, dénuée de toute morale, éthique ou sens du réel, mais également le désir à peine caché des plus pauvres d’accéder à cette barbarie de la richesse extrême.

Âmes sensibles s’abstenir, car le film, qui ressemble par certains aspect à Brazil, ne laisse dans l’ombre aucune dérive de l’esprit humain: envie, avarice, goût du lucre et de la débauche, bêtise et méchanceté, rien ne nous sera épargné. On regarde ce petit paradis technophile s’effondrer dans le chaos avec la complicité active de tous ses résidents, incapables de simplement chercher à se protéger eux-mêmes.

Dur et sans concession, le film de Wheatley résonne curieusement aux oreilles de celles et ceux que tant de gens considèrent comme les Cassandre d’une modernité sans conscience. Une belle réussite.

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La passion d’Augustine – Léa Pool

L’église est à l’honneur au le cinéma ces derniers temps. Que ce soit pour en dénoncer les dérives pédophiles ou pour en regarder les côtés étonnement libérateurs, il y a une veine pleine de nuances et de finesse qui courent chez les réalisateurs.

Dans ce film canadien, réalisée par une suissesse, on retrouve l’Eglise québécoise au moment où l’Etat décide de reprendre en main l’éducation nationale longtemps dévolue aux églises. Le combat est, comme toujours dans ces cas-là, acrimonieux et polémique et il cache les multiples nuances qui sous-tend tout système. Le bon et le mauvais se côtoient, le formidable et l’atroce également.

Ici, Léa Pool choisit de nous montrer le combat d’une mère supérieure passionnée de musique classique, passionnée d’égalité, passionnée de beauté, qui a pendant plusieurs décennies, permit à des jeunes filles de tous milieux d’accéder à l’excellence musicale et à une forme de liberté dans l’art. Contre elle, les laïcs persuadés que la grande musique est affaire de bourgeois, les nouvelles autorités religieuses pressées de rejeter les filles dans le public pour sauver les garçons de la chute dans le monde séculier. Pour mener son combat, elle s’appuie sur une arme très à la mode dans les années 70, la médias et sur un vieux ressort toujours très efficace la vanité des plus riches.

Le film est beau, féministe, brillant et tendre. Les nuances permettent de comprendre que dans toutes communautés humaines, il y a au delà du bien et du mal, les multiples petites blessures, fragilités et forces de chacune et chacun. Que l’amour et l’affection se cachent parfois plus sûrement sous des voiles de « veuves du XVIIIè siècle » que dans bien des discours plein de componction humaniste.

Il y a des moments bouleversants dans ce film, comme ces chorales où les élèves déclarent avec art leur amour pour Schubert où lorsqu’une soeur analyse leur jeu avec beaucoup de bienveillance et d’enthousiasme. Oui, la beauté et la grâce vont avec la nuance et l’intelligence des propos et en ces périodes furieusement modernes de petits formules sans grâce et de dégueulis émotionnels permanents, il fait beaucoup de bien.

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Les premiers, les derniers – Bouli Lanners

Un film absolument magnifique. Tendre, doux, humain et mélancolique. Un pur moment de poésie cinématographique dans un monde gris et terne, où la couleur s’incarne dans la grâce infinie de quelques humains.

Deux couples improbables se croisent sur une longue route droite dans un paysage gris, terne et plat. Cochise et Gilou sont des chasseurs de prime à la manque. Willy et Esther sont deux marginaux, un peu innocents et terriblement fragiles. Les uns cherchent à gagner un peu d’argent, les autres cherchent à revoir la petite fille d’Esther avant la fin du monde.

Ils vont croiser une bande de crapules et des êtres improbables dont le toujours magnifique Michael Londsdale, loueur d’une petite chambre, et jardinier magique capable de faire pousser la pure beauté aux couleurs éclatantes dans sa petite serre grise. Ils croisent également un homme étrange, Jésus aux moufles rouges, incarnation de la bonté si fragile en apparence si puissante quand on l’écoute enfin.

Ce film est bouleversant de grâce, de finesse, de tendresse. A voir absolument.

Cinéma – Carol

Il va être difficile de faire mieux que ce merveilleux film. Une pépite du cinéma, un bonheur de spectateur. L’amour dans sa plus parfaite représentation. Je peux en faire des tonnes d’autres comme celles-là, mais ça n’aurait aucun intérêt.

Alors courez voir ce couple magique, le regard ensorcelant de Cate Blanchett, l’élégante simplicité de Rooney Mara. Une mise en scène impeccable, une photographie exquise, des acteurs en état de grâce.

Merci Todd Haynes pour ce pur moment de bonheur…

Dans Libé, mais les médias sont emplis de belles choses sur ce film… Ne lisez plus, filez au cinéma.

Cinéma – Les cowboys – Thomas Bidegain

 

Un film étonnant qui court sur une quinzaine d’années, commençant dans la campagne française lors d’une fête country et qui se termine dans la banlieue de Bruxelles. Entre ces deux moments, ces deux lieux, deux quêtes, pour retrouver une jeune fille. Un père, puis un fils pour retrouver une jeune fille partie par amour sans laisser de traces à l’exception de quelques lettres pour dire « tout va bien, ne me cherchez pas ».

Impossible pour un père, trop orgueilleux, trop intransigeant, trop fermé à d’autre qu’à lui même et à son amour exclusif, impossible pour le frère qui veut juste savoir qu’elle va bien. C’est le chemin de croix de ces deux générations d’homme que le réalisateur Thomas Bidegain filme avec beaucoup d’intelligence.

Le sujet est à la mode, le départ de jeunes gens, garçons et filles, apparemment parfaitement intégrés, c’est à dire famille occidentale sans religion prégnante, pour un engagement personnel et religieux intégriste. Ici la fille de cette famille sans histoire, amatrice de cowboys, de country et de square dance, disparaît un jour. Elle a rejoint son petit ami, avec lequel elle avait commencé son chemin vers le sectarisme. Pas de signe avant coureur, incompréhensible pour ce père.

Comment ce alors la traque. Retrouver la jeune fille devient pour le père, sa seule respiration. Brutal et désagréable il se coupe petit à petit de son entourage, croisé aussi sectaire que sa gamine disparue. Seul son fils va le suivre un temps, partout au Yemen, au Danemark, en Hollande, au Maroc, partout où le fantôme de sa fille semble apparaître. On voudrait admirer son engagement, on comprend rapidement que c’est ce caractère que fuyait peut être aussi la gamine. Cette brutalité paternaliste et glaçante. A sa suite, son fils va tenter de retrouver aussi la jeune fille, devenue mère, mais sa quête à lui va lui ouvrir les yeux, le déniaiser sur la complexité du monde.

Un film magnifique, complexe et intelligent sur un sujet casse gueule dans l’époque actuelle. C’est aussi le résumé de ces dernières décennies entre aveuglement et hystérisation du monde…oublieux que nous sommes que derrière les anathèmes et les mots d’ordre, il y a des destins individuels parfois plus complexes qu’on ne l’imagine derrière nos bonnes œillères….

Cinéma – Les anarchistes – Elie Wajeman

Au tournant du XIXè siècle, l’Etat français s’inquiète de l’influence politique des anarchistes et des risques pour le contrôle social. Afin de connaître le nouvel ennemi de la bourgeoisie au pouvoir, la police cherche à infiltrer les groupuscules anarchistes qui essaiment dans la capitale. Un jeune gardien de la paix accepte la mission. Sa rencontre avec l’espoir du genre humain va se révéler plus abrupt et complexe que prévu.

Un scénario sans grande originalité sur un sujet qui demandait plus de grandeur et de courage, c’est malheureusement la seule chose qu’on peut retenir de ce film. On est loin de la formidable chanson de Leo Ferré, on se demande même si l’idée d’Elie Wajeman n’est pas de caricaturer à l’extrême le mouvement anarchiste. Cela tient peut être au choix des acteurs, Tahar Rahim et Adele Exarchopoulos que je trouve décidément de moins en moins crédibles pour quelques rôles que ce soit. Cela tient surtout à ces personnages grotesques, sans profondeur et sans intérêt qui sont supposés incarner la fine fleur de l’anarchie.

Certes il y a un travail méthodique et soigné sur les décors, les costumes et la lumière, mais que tout cela est laborieux et sans esprit. Un tel sujet demandait de la nuance, de la force, de l’élégance et de l’engagement, surtout de l’engagement. Il ne ressort qu’une mièvre historiette de gamins à moitié débiles, pris entre leurs idéaux de comptoirs et leurs cervelles malades de l’abus de fée verte. On nous parle d’amour et de corps, mais diable que ces corps à corps sont pénibles et lourds, Adèle ouvrant et fermant la bouche comme un poisson à l’agonie sous les caresses peu sensuelles d’un Tahar Rahim aussi expressif qu’un poisson mort. Les incarnations sont sans grâce et tout cela ennuie fermement.

Bref, pour une petite virée chez les anars, mieux vaut écouter Leo Ferré, au moins c’est incarné.

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Cinéma – Madame Bovary – Sophie Barthes

La réalisatrice de « Hopper vu par…. » réalise une interprétation toute personnelle et très séduisante du célébrissime roman de Gustave Flaubert.

Tout le monde connaît la belle Emma, son romantisme exacerbé, son incapacité à être au profit du paraître et du fantasme. Le nom de la belle est même devenu une maladie mentale dûment reconnu. Flaubert était un homme de son temps. Son Emma, manipulée par les hommes, n’en était pas moins une femme et donc un être un peu inférieur et peu aimable, séductrice et trop occupée de ses rêves, incapable de se fondre dans le réel et d’en accepter les rets. Sophie Barthes, en femme de son époque, arrache l’héroine à sa gangue misogyne pour rappeler le destin assez détestable des femmes de la petite bourgeoisie de province. Elle a en commun avec l’auteur français de mélanger la poésie de certains instants à la vulgarité de certaines situations.

On me rétorquera que comparées à la vie des femmes du peuple et du prolétariat urbain, ces petites bourgeoises n’avaient aucune raison de se plaindre et que l’ennui n’est pas mortel. Et bien si, l’ennui peut être mortel! Hier comme aujourd’hui, être une femme peut parfois être mortellement, tragiquement ennuyeux et pousser à des excès que les rationalistes et les pisse froid trouveront ridicules.

ae6752f5f4d6ad85d7cfe7d9a0719359Le film est techniquement très réussi. Une photographie somptueuse avec une Normandie entre lumière magique et sinistre grisaille, bien que la réalisatrice n’ait pas tourné en Normandie. La réalisatrice aime aussi beaucoup le silence et elle a raison, l’absence de bavardages incessant permet d’installer ce sentiment d’ennui profond et d’incapacité à être. Le choix de l’actrice Mia Wasikowska, vu dans le très bon « Crimson Peak » incarne à la perfection le drame d’Emma, son refus de la réalité et son inexorable chute du paradis idéalisé de la petite bourgeoise à la fange des liaisons où elle n’est qu’une oie blanche manipulée.

J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour la belle Emma, peut être parce que je me reconnais dans cette fille trop préoccupée par ses rêves pour se plaire dans la triste réalité. C’est mal? Il semblerait oui, mais qu’importe, les rêves même brisés restent infiniment plus doux que le monde tel qu’il va…

Critique sur le site de Télérama

Cinéma – Le fils de Saul – László Nemes

Ce film fera sans aucun doute date dans la filmographie consacrée à l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis entre 1941 et 1945. Comme a fait date le livre de Primo Levi, « Si c’est un homme », ou comme les témoignages récemment découverts des hommes des Sonderkommandos ainsi que les quelques photos volées à la machine de destruction et d’effacement du crime. Il ne s’agit pas d’émouvoir le spectateur comme avec « La Liste de Schindler », ou de tenter une œuvre totale comme avec « Shoah », ni d’analyser la sémantique de la novlangue nazie comme avec le témoignage de Saul Friedlander ou de faire œuvre de conte comme avec « La vie est belle ».

Mais s’il est aisé de dire ce que cette oeuvre n’est pas, je ne suis pas vraiment capable de dire ce que c’est. Au-delà du témoignage, au-delà de l’acte militant, de la volonté de faire mémoire, c’est un moment plus indicible que cela. Peut-être la revendication ultime d’un acte humain, authentiquement humain au cœur de la barbarie.

Car enterrer les morts est notre spécificité, il semble que nous ne partagions cette volonté qu’avec les éléphants. Nous enterrons nos morts et nous prions les dieux. Nous offrons à ceux qui ne sont plus l’abri à la fois hospitalier et égalitaire de la terre, du feu ou du ciel. Poussière tu redeviendras poussière, tu reviendras au tout cosmologique. Tu t’es nourri, tu seras désormais nourriture.

Ce film qui n’est sur le coup, ni bouleversant, ni émouvant, qu’on regarde hébété, en état de sidération, profondément glacé, fait son chemin quand il se referme sur la tragédie de ces quelques hommes et sur le geste d’humanité pure de l’un d’entre eux. Saul, le hongrois. Cet homme qui depuis quatre mois, temps d’existence des équipes de nettoyage des crématoires, accompagne des milliers d’êtres à la mort, les aide à se dévêtir, leur sourit peut être parfois, les houspille peut être, ne ressent plus qu’une indifférence garante de ce qui reste de sa vie. Cet homme qui entend les hurlements de ceux qui vont mourir, les râles de ceux qui meurent, qui sort les corps avant de les charger vers les fours. Cet homme qui brûle dans des fosses ceux que les crématoires ne peuvent plus bruler, puis qui jette les cendres dans la rivière, ultime lit de mort de milliers de femmes, d’hommes, d’enfants. Cet homme-là croit reconnaître dans un corps d’adolescent son fils. Il n’a d’autre but alors que de lui offrir une sépulture.

Folie d’un homme au cœur des ténèbres de l’Histoire. Offrir une sépulture à un enfant, quand tant d’autres ont fini emportés par les vents, déposés sur les terres chaudes et froides en cendres dont on ne saura peut-être plus dans quelques milliers d’années de quelle immense tragédie elles sont les vestiges, déposés en fin limon au fond d’une rivière. Saul veut une sépulture, un Kaddish, un refuge pour le corps supplicié de son fils. On regarde ce combat désespéré, sidéré. On regarde cet homme prendre les risques les plus déments pour avoir la possibilité d’offrir un coin de terre et une prière à son enfant perdu. On regarde cet homme reprendre pieds dans l’humanité, s’arracher à sa condition de « stucks », de rouage d’une monstrueuse machine, pour donner une sépulture, le geste le plus normal, le plus essentiellement humain.

Le film terminé, reviennent alors les détails. La caméra subjective qui donne l’impression d’être au cœur du drame, le visage de l’acteur, de Saul, visage du sacrifice ultime pour dire que l’humanité n’a pas complètement sombré dans les camps de la mort. La lumière ou plutôt son absence pendant la plus grande partie du film, comme si elle avait disparu du monde, puis le vert si vibrant de la forêt, le bruit de la pluie, ces instants de normalité avant le retour de la barbarie. Il y a le murmure de l’eau, de cette rivière charnier qui sera finalement le lieu du dernier repos pour le fils de Saul. Un film qui fera date car il s’adresse à notre intelligence, à notre humanité, à notre mémoire pour laisser en nous la trace indélébile de ces millions de destins assassinés.

Sur le site du Nouvel Obs

PS: Le réalisateur pense qu’il faut montrer son film dans les écoles, il a raison. Parce qu’il faut lutter contre l’ignorance et la froide haine qui s’installe….

Cinéma – Lolo (Julie Delpy)

J’allais voir ce film plutôt conquise par l’excellente campagne de promo réalisée sur quelques médias bien connus. Et décidément soit je suis totalement obtue et fermée à la comédie française, soit elle n’est simplement pas drôle.

Succession de situations ratées, de blagues potaches et de pitreries niaises du couple Lacoste/Boon, ce film aborde pourtant un sujet intéressant, la relation mère/enfant toxique. Julie Delpy tente une approche décomplexée et humoristique d’une situation que certaines femmes affrontent dramatiquement, mais l’humour tombe à plat. Peut être une erreur de casting. Peut être que Lacoste est trop vieux pour que ce soit crédible et que Boon est définitivement peu crédible quel que soit le film.

Les femmes du film, Karine Viard et Julie Delpy sont très bonnes, mais cela ne suffit pas à sauver le mauvais casting masculin. Et malheureusement, à la différence des comédies anglaises, l’outrance et la caricatures sont ici insupportablement tartes et lourdes. Rien à sauver donc malheureusement pour la sympathique Julie Delpy.