Pietro Citati – La mort du papillon – L’Arpenteur

Il faut une grande sensibilité pour faire le portrait nuancé d’un couple mythique de l’histoire littéraire du XXè siècle. citatiSurtout quand ce couple est à la fois aussi emblématique et aussi complexe que le couple Zelda, Scott Fitzgerald. En quelques cent pages, Pietro Citati, qui est un spécialiste du genre puisqu’il a également écrit sur d’autres grandes figures littéraires comme Goethe, Tolstoï ou Homère, a parfaitement saisi l’enjeu de l’exercice : ne pas s’abimer dans des détails qui n’intéresseront que les étudiants ou les fans de biographies in-extenso, mais saisir l’essentiel ; ici le chatoiement délicat d’une passion éblouissante et fragile.

Zelda et Scott, un couple littéraire parfait. Parfait dans ses fêlures, dans ses crises, dans ses jalousies, dans ses passions destructrices. Chacun à sa manière, ils sont emblématiques d’un monde en profonde mutation, oscillant entre le désir de la modernité et la nostalgie du romantisme. Le couple qui se marie l’année de la sortie de l’époustouflant l’Envers du Paradis, a tout plaire : Scott est très bel homme, une classe folle et du talent ; elle est une fleur du sud, belle, fantasque et capricieuse. Le couple qu’il  forme fait la joie des échotiers de l’époque. Bien vite cependant, le couple se déchire, s’affronte, l’orgueil de l’une venant brutalement titiller les doutes de l’autre.

Scott et Zelda se marient le 3 avril 1920. Le monde semble leur appartenir. Les nouvelles de Scott sont très bien accueillies par la critique et le couple fait la joie de la bonne société new yorkaise. Pourtant l’un et l’autre sont déjà victimes des démons qui vont les détruire : la folie et l’alcool. Comme si le bonheur ne pouvait convenir aux âmes brûlantes, comme si, comme l’écrit Fitzgerald : « la recherche du bonheur est le plus grand et peut être le seul crime, dont dans notre petite misère, nous soyons capables ». Scott passe de l’artiste un peu bohème à qui la critique pardonne tout à cet artisan de l’écriture qui comme le dit Kierkegaard «  lutte jour et nuit (…) contre les hordes sauvages d’une mélancolie essentielle ».

La mélancolie de Scott trouve un dérivatif à sa peur et à sa mélancolie dans l’alcool. Bientôt l’alcool devient également un refuge contre le désespoir provoqué par la maladie de Zelda. La jeune femme issue d’une famille marquée profondément par différents niveaux de maladies mentales ne tarde pas à présenter les signes de la schizophrénie qui va détruire leur couple. La dernière des Sayre commence sa lente descente aux enfers. La danse, la passion de la danse sera le catalyseur de la première crise, le révélateur de la maladie ? Zelda  qui se veut rêve à 27 ans danseuse étoile, n’est en fait qu’un pauvre papillon pris dans la toile traitresse du destin. Malgré tout son amour et lui-même terriblement touché par sa maladie alcoolique, Scott fera tout pour l’arracher au mal qui la ronge et la détruit. Pourtant sa sensibilité lui fait entrevoir la tragédie et dans une lettre qu’il ne lui enverra jamais, il révèle toute sa détresse : « Nous, phtisiques, ratés, laborieux, moribonds, nous devons vivre… malgré toi… et… Nous avons nos pierres tombales à ciseler _ et nous ne pouvons pas émousser nos armes et vous rendre vos coups de poignards, à vous fantômes, qui ne savez ni clairement vous souvenir, ou clairement oublier. »

Scott et Zelda, un couple magnifique et tragique. La preuve que le talent, la beauté, la fortune attirent les foudres du destin. On ne peut être que profondément touché par les pauvres tentatives de l’écrivain de sauver son amour, son petit papillon si fragile, si lumineux. La légèreté de Zelda s’est brisée dans un dernier éclat de couleurs chamarrées. Le pauvre petit papillon du sud survivra huit années à son pauvre Scott, vaincu par le démon de la dive bouteille. Et s’ils étaient séparés depuis plusieurs années, Zelda écrivit tout de même « Il me semble qu’il était toujours là pour programmer le bonheur pour Scottie [leur fille] et pour moi » Une bien belle épitaphe.

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