Brian Evenson – Père des mensonges – Le Cherche Midi/Lot 49

Une bien belle collection qui ouvre ses portes et livre aux lecteurs affamés, quelques uns des écrivains les plus  brillants des lettres américaines. Des auteurs exigeants, passionnants, drôles, des témoins, des critiques pugnaces. Parmi ces auteurs, il y en un qui depuis son premier roman règle ses comptes avec les dogmatismes, ceux de son ancienne église, mais également ceux des autres, et c’est bon. Revoilà donc Brian Evenson avec un récit qui vous saisit et vous tient en haleine jusqu’à la  dernière page. Une véritable addiction qui vous prend dès la première lettre et vous laisse une envie tenace de vous y replonger dès la dernière page tournée. D’un bout à l’autre, sans répit, l’auteur nous promène dans la folie d’un homme, dans les délires d’une hiérarchie religieuse et dans le malaise d’un psychanalyste. Au-delà du polar, c’est la critique de ce qui pousse des individus à se soumettre à un ordre inepte par respect de la hiérarchie dont nous parle l’auteur. Et la démonstration est brillante.

Eldon Fochs est doyen de son église. C’est un homme apprécié pour sa docilité et l’image lisse, si parfaitement lisse qu’il donne, avec sa jolie petite famille et sa bonhommie. Mais notre bon homme fait des rêves, de très vilains rêves dans lesquels il fait des choses interdites, quand il n’assassine tout bonnement pas les jeunes filles en fleur. Son épouse inquiète le pousse alors à aller consulter rapidement un psychanalyste correctement appointé par l’autorité ecclésiastique, pour se débarrasser de ces très vilaines pensées. Très rapidement, le psychanalyste comprend que derrière l’apparente bonhomie de notre doyen, les pensées dérangeantes ont très largement dépassé le stade de la pensée. Il alerte alors sa hiérarchie qui en réfère à la hiérarchie ecclésiastique. Commence alors un jeu de dupes qui voit s’affronter la réalité du danger, le devoir de moralité et la volonté de l’autorité ecclésiastique d’enterrer l’affaire le plus rapidement possible. Pas de scandale.

La construction du livre est en soit une part non négligeable de la fascination provoquée par ce livre. L’auteur casse la temporalité normale, multiplie les points de vue et force le lecteur à suivre aussi bien la folie, que la lâcheté ou les avertissements de plus en plus pressants du psy. Le récit s’ouvre sur un échange de lettre en le psychanalyste et son supérieur directe, et avec le patriarche de la congrégation. De menaces voilées, en ordres directs de mettre un terme à l’enquête et de récupérer les documents de travail du psy, Brian Evenson montre la mise en place du premier mensonge. Il nous invite ensuite dans la tête d’Eldon Fochs où on découvre non seulement la folie, mais surtout l’extraordinaire perversion, puisque dès le départ Fochs se sert du psy pour couvrir ses crimes.  Le récit se poursuit entre le mensonge d’une hiérarchie, le glissement inexorable de Fochs et l’action désespérée du psychanalyste.

Au-delà du récit de la folie et des pulsions vicieuses qui accompagnent souvent les dogmes, tous les dogmes, Brian Evenson montre surtout les dégâts causés par l’obéissance aveugle et par la rupture entre morale et dogme. Avec l’art consommé de ceux qui ont été confronté à ce genre de système, il dissèque la volonté de pouvoir et la perversion d’un système où toute tentative pour dire le vrai, pour dénoncer un crime couvert par la hiérarchie, devient une sentence d’expulsion, d’exclusion, de mort sociale. C’est là que la scène avec les deux mères d’enfants abusés prend toute sa force. L’auteur montre qu’un système où l’obéissance est une règle intangible conduit immanquablement au crime. Et la conclusion n’est guère encourageante.

Laisser un commentaire