Leonarda Padura – L’homme qui aimait les chiens – Editions Métailié

La lutte pour le pouvoir a toujours été source de tensions, de guerres, de luttes fratricides, de meurtres et de petites réinterprétations des données. La vérité est toujours celle des vainqueurs. La révolution bolchévique et sa poursuite  sous sa forme stalinienne est l’un des exemples contemporains les plus intéressants à cet égard. Comment l’hystérie d’un homme avide de pouvoirs a transformé le rêve d’une révolution en un long et terrifiant cauchemar. Des millions d’êtres humains rayés de la mémoire des vivants et tout une histoire politique anéantie pour faire place aux délires d’un seul homme. Padura nous raconte deux histoires, l’Histoire d’un grand espoir anéanti dans le sang et les larmes, la fuite puis le meurtre de Léon Trotski, la trahison des révolutionnaires espagnols, allemands, français par les agents de Staline et l’inexorable marche vers la guerre. L’histoire d’un écrivain amateur, un de ces cubains pris dans la nasse d’un régime ayant lui aussi trahi ses grands idéaux, qui rencontre un jour sur une plage un homme et deux chiens, des barzois, les chiens des tsars. Padura mène les deux histoires de main de maître passant inlassablement des souvenirs des assassins à ceux de la proie, à ceux de l’écrivain. Une fable sur les trahisons d’un idéal, les compromissions du pouvoir, le dévoiement d’un grand espoir par des hommes sans scrupule, manipulés puis détruits par plus forts qu’eux. Une adaptation dramatique d’après moi le déluge.

Au début des années 2000, un ancien vétérinaire sans grande envergure, veuf après un combat de presque 10 ans contre le cancer de son épouse, se décide à écrire le récit d’une rencontre qui a profondément changé sa vie. En pleine guerre froide, dans cette décennie 70 qui promettait la victoire du communisme sur les forces du grand capital, Ivan rencontre un homme sur une plage d’un petit village cubain. L’homme est accompagné d’un couple de lévriers afghans, les somptueux barzois, chiens des tsars, des chiens extrêmement rares à Cuba. L’intérêt d’Ivan est d’abord celui du vétérinaire, mais rapidement la curiosité s’étend à au mystérieux propriétaire dont le passé semble receler de multiples parts d’ombre.  L’homme qui aimait les chiens semble avide de raconter son histoire. Et quelle histoire…

L’homme qui prétend s’appeler Lopez raconte à Ivan la tragédie qui suivit la première scission du parti bolchévique après la mort de Lénine. La lutte menée tambour battant par Staline pour conquérir les rênes de la révolution et faire du pouvoir conquis de haute lutte par Lénine et ses compagnons, un pouvoir personnel et despotique. De la fuite de Lev Davidovitch Bronstein, Trotski l’ultime témoin de ce que devait être la révolution, le gardien d’une mémoire anéantie inexorablement par le pouvoir d’un seul homme et l’inertie d’un peuple soumis par la terreur. Trotski qui comprit trop tard que la violence qui avait accompagné la naissance de la révolution ne pouvait rester sans conséquence, l’homme qui jusqu’au dernier souffle ne se lasserait pas « d’exhorter les hommes de bonne foi à demeurer aux côtés des exploités, même si l’histoire et les nécessités scientifiques semblaient être contre eux. » L’homme qui jusqu’au bout affirmerait contre Staline qu’il demeurerait toujours du côté de Spartacus contre les césars et que les masses laborieuses finiraient par l’emporter et que les erreurs des chefs du bolchévisme ne devraient jamais pervertir l’idéal, que l’utopie devait rester entre les mains des travailleurs.

Face à un homme en exil, de plus en plus isolé, marginalisé et témoin de la dérive totalitaire du régime soviétique, les petits soldats de Staline font leurs armes sur le front espagnol. Ils apprennent comment évincer leurs adversaires idéologiques quitte à faire alliance avec les fascistes. Avec les hommes de Franco contre les anarchistes et les socialistes, avec Hitler contre les ultimes opposants. On assiste aux procès des anciens apparatchiks, aux délires de violence, aux mensonges de plus en plus grossiers et à la terreur de plus en plus présente. On est également témoin de ce que l’abandon du sens critique provoque chez tous les combattants.

Avec ce grand roman, l’écrivain cubain nous raconte l’histoire de la fin d’une utopie abîmée non par la réalité mais par le culte de la personnalité et la quête barbare du pouvoir. Le parallèle avec le destin de la révolution cubaine n’échappe à personne, les paragraphes dans lesquels Ivan raconte la vie dramatique des cubains réduits à la quasi famine et au désespoir sont terribles. Avec Trotski il peut rappeler que l’utopie est toujours belle et forte, mais que les hommes qui la servent sont souvent indignes du rêve des peuples.

Le site des éditions Métailié

Une réflexion sur “Leonarda Padura – L’homme qui aimait les chiens – Editions Métailié

  1. Très grand livre, je suis encore sous le charme de la fin de ma lecture. Tout y est, le contexte, les personnages forts et très présents, l’écriture qui retient…

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