Elliot Perlman – La mémoire est une chienne indocile (trad.Johan-Frédérik Hel Guedj) – Robert Laffont

9782221109816FS
http://www.decitre.fr/livres/la-memoire-est-une-chienne-indocile-9782221109816.html
 » La mémoire est une chienne indocile. Elle ne se laissera ni convoquer, ni révoquer, mais ne peut survivre sans vous. Elle vous nourrit comme elle se repaît de vous. Elle s’invite quand elle a faim, pas lorsque vous êtes affamé. Elle obéit à un calendrier qui n’appartient qu’à elle, dont vous ne savez rien. Elle peut s’emparer de vous, vous acculer ou vous libérer. Vous laisser à vos hurlements ou vous tirer un sourire. »

Lamont Williams est noir, il est jeune, il vient d’un quartier défavorisé du Bronx et n’a pas connu son père. Curieux mais un peu trop seul, malgré le soutien indéfectible de sa grand-mère, il se retrouve embarqué dans une salle histoire et se retrouve en prison. Il perd sa compagne, l’enfant qu’il a eu avec elle et une partie de ses espoirs d’une vie meilleure. Huit ans de prison laissent rarement beaucoup de chances d’un avenir radieux. Mais par un étrange hasard, Lamont Williams est embauché comme agent d’entretien dans un hôpital de Manhattan où un vieil homme finit sa vie, une longue vie qui a pourtant, comme celle de Lamont Williams, connut son lot de drames. Lamont Williams et Henrik Mandelbrot vont se croiser dans une chambre d’hôpital pendant de longs mois, ils vont se parler, le second passant son histoire au premier, un témoignage tragique tombant dans l’oreille d’un jeune homme lui même fragilisé.
Pendant ce temps, un professeur d’histoire, Adam Zignelik sombre dans une intense dépression hantée par le poids de l’histoire des droits civiques et la tribut si lourd portée par tant de jeunes et innocentes victimes de la haine raciale. Son père, héros de la lutte pour les droits civiques, n’a pu lui apporter le soutien nécessaire, occupé à se battre pour les « vraies » victimes d’une politique inepte et criminelle. Malgré le soutien de sa compagne et de ses amis, il ne parvient plus à se battre contre les images d’une tragédie trop longue et trop brutale. Alors lorsque le père de son meilleur ami, lui même direteur de département à l’université de Columbia, lui propose un projet fou, accepte-t-il. Pour échapper aux cris des victimes, pour échapper à sa propre lâcheté. Adam Zignelik se lance à la recherche des soldats noirs qui auraient libéré le camps de Dachau et que l’histoire américaine officielle et blanche aurait gommé l’existence au nom de la discrimination raciale encore en place dans une armée chargée de libérer l’Europe occupée par le nazisme.
Les deux histoires vont lentement tisser leurs liens et les personnages se dessiner sur le canevas de l’Histoire globale et terrible du XXè siècle.
Ce que le vieux Mandelbrot raconte à son étrange biographe, c’est le drame de la Shoah, le projet presque accompli de l’extermination des juifs d’Europe par le régime nazi.
Ce que Adam Zignelik découvre c’est le travail d’un psychologue de l’université de Chicago, lui-même juif polonais réfugié en Amérique avant le début de la tragédie, parti en Europe à la fin de la guerre, récolter la parole enregistrée des « personnes déplacées » et parmi ces personnes, les témoignages effroyables des survivants.
La mémoire des deux histoires va alors se mêler dans le grand cri d’agonie d’un monde brisé.
Le roman est passionnant et d’une grande intensité, mais l’auteur finit par oublier une partie de son histoire, et il ne parvient pas à développer vraiment la relation qui se noue entre certains juifs progressistes aux Etats Unis et le combat pour les droits civiques et la manière dont cette relation va se trouver mise en danger par la radicalisation du mouvement noir et le racisme persistant des « blancs » des classes populaires contre ceux qu’ils voient comme une menace pour leurs emplois. Peut être le sujet d’une prochain livre. Car la mémoire est une bien une chienne indocile qui ne se laisse jamais dompter mais rappelle souvent que nous sommes une seule et même petite humanité.