BD – Paroles de la guerre d’Algérie 1954-1962

51zrnJJOxKL__SX385_De cette guerre enfin nommée, il reste de profondes blessures des deux côtés de la Méditerranée, de profondes cicatrices dans le tissu social français et une somme d’incompréhensions qui servent aujourd’hui de ferment à des accusations et à des erreurs d’interprétation pour ne pas parler d’interprétations fallacieuses dans les deux camps. On se sert encore des crimes commis pour accuser les uns et les autres de tous les mots ou pour jouer la propagande du eux contre nous. Et le musée qui aurait dû voir le jour du côté de Montpellier a vu sa fin signée par la nouvelle majorité…de gauche, qui craint qu’un tel musée ne réveille les vieilles haines. Oubliant de fait que les historiens rassemblés autour de ce projet avait fait le ménage des délires de grandeur de certains politiciens locaux. Bref, une guerre qu’on ne nommait pas à l’époque et qui aujourd’hui se dérobe au travail scientifique des historiens pour interroger les mémoires, toutes les mémoires et les libérer de la tension mémorielles pour les transformer en riche patrimoine partager en France et en Algérie.

Cette bande dessinée qui s’inscrit dans la série des témoignages de guerre parmi lesquels on trouve « Paroles de poilus », « Paroles de Verdun » ou « Paroles d’étoiles ». Un témoignage illustré par quelques planches. Une manière de rendre accessible au plus grand nombre la parole d’anonymes ou de gens plus connus. Dans le cas de la guerre d’Algérie, Jean-Pierre Guéno, écrivain et historien rend hommage à son père, Pierre, résistant, nommé ensuite au RG où il développait les pellicules venues d’Algérie dans lesquels il découvrit l’horreur commise par des hommes contre d’autres hommes, où il fut confronté au tragique constat que les abominations commises par les nazis se répétaient dans les rangs français et dans ceux du FLN, sur des milliers d’innocents, victime collatérales d’une guerre d’indépendance et d’une guerre de prééminence.

C’est pour saluer la mémoire de ce père, que le fils décida bien des années plus tard de réunir onze témoignages, des hommes, des femmes, des français, des algériens, tous victimes de l’arbitraire, de la barbarie et d’une tragédie humaine sans nom. Le gouvernement militaire qui avait reçu les pleins pouvoirs de la part du gouvernement français torturait des algériens, des français sympathisants du FLN, pendant que le FLN torturait et assassinait des civils français ou algériens sympathisants de l’Algérie française ou juste des sans-opinions. On torturait, on tuait des femmes, des hommes, des enfants. Le pire était commis chaque jour et culmina côté français dans les atrocités commises par l’OAS et pour les algériens dans le massacre des harkis.

Une guerre nationale, devenue guerre civile. Une guerre commencée par la France, terminée par les algériens. Une guerre dont il reste trop de zones d’ombres, de manipulations et de propagandes pour qu’enfin la paix des braves s’instaurent des deux côtés de la Méditerrannée. En cela, les témoignages rassemblés dans cette BD sont de formidables moyens d’ouvrir la discussion, d’engager le devoir de mémoire, la nécessaire pacification par la science historique. Nos pères ou nos grands-pères ont fait cette guerre, notre génération, celle de nos enfants doivent parler de paix et de reconstruction des liens.

Un ouvrage qui accompagnera toutes les mémoires et parlera à tous les hommes et femmes de bonne volonté….

Svetlana Alexievitch – La fin de l’homme rouge (trad. Sophie Benech) – Actes Sud

Sur le site de l’éditeur

homme_rouge_180Un essai terrible et passionnant sur cet étrange « homo sovieticus » qui depuis la révolution de 1991 ne parvient plus à trouver sa place dans la société nouvellement russe. Entre attraction et rejet, les témoignages rassemblés ici par la journaliste russe Svetlana Alexievitch dessine un portrait à la fois nuancé et terrible de ces hommes et femmes qui aujourd’hui racontent et font l’Histoire de l’empire.

La forme adoptée par l’auteur destabilise un peu au début de la lecture. On entend des voix désespérées, rageuses, rêveuses ou mélancoliques, une polyphonie cruelle qui parle d’êtres à la fois terriblement proches et irréductiblement lointains. Puis on plonge dans de longs récits individuels où l’Histoire et l’histoire tissent des liens indissolubles. Le micro tendu par la journaliste devient ce viatique désespéremment recherché pour évacuer la terreur de la fin programmée des vieux rêves, même lorsque ces rêves ont tout du cauchemar.

Dans la première partie, l’auteur rassemble les souvenirs et les témoignages de l’immédiat après révolution démocratique. Les très nouveaux russes regardent souvent avec terreur et indignation l’abandon de la puissance de l’Empire rouge pour quelques poignées de dollars et un capitalisme guerrier. Même les pires horreurs commises par le régime soviétique et notamment les purges de 1937, dont nombres de témoins ont été victimes soit directement, soit au sein de leurs familles, tentent de trouver des excuses à la folie destructrice de Staline, rappelant souvent que la construction d’un nouveau monde ne peut se faire sans l’écrasement brutal de l’ancien. On plonge alors avec les témoins dans un récit halluciné de cette « réalité » soviétique dont aucun roman n’a jamais atteint l’absurdité et le terrible arbitraire. La suspicion, les dénonciations, les procès, les purges, le goulag, la relégation, la faim, la peur, tout cela irrigue les récits. Le lecteur ne peut alors qu’imaginer ce qu’aurait dû être la joie de ces hommes et femmes enfin libérés de ce terrible joug, mais rien n’est simple dans cet étrange empire. On regrette l’égalitarisme, la « douceur » de vivre, le respect des règles, la puissance surtout et parfois même le plaisir de faire peur au monde.

La seconde partie se promène dans la décennie 2002-2012, le retour de la puissance, l’apparition d’un nouveau maître au Kremlin et le cruel réveil d’une génération pour laquelle la terreur rouge et l’empire soviétique n’étaient que l’histoire de leurs parents. La guerre dans les républiques après l’éclatement de l’empire, la terrible violence inter-ethniques, la désespérante profanation des vieilles amitiés, lorsque le voisin hier ami devient bourreau ou victime. Vu d’Occident tout cela semblait presque irréel, alors qu’on massacrait avec une terrible violence au coeur de l’Europe d’au-delà du Caucase.

Une chose traverse ces récits, malgré la folie ou la barbarie, l’amour résiste, apparaissent ici ou là des îlots d’amour et de tendresse même au coeur de la pire violence. Rendant ainsi leur humanité à ces êtres que les témoignages semblent laisser si loin de nous parfois. Et autre chose demeure, terrifiant, il y a des lieux où la violence et la soumission semblent ataviques. Comme si une longue histoire de violences ne pouvait déboucher sur autre chose que sur la perpétuation de la violence. La hache est là et attend son heure comme le dit un témoin. Il faut toujours garder espoir dans l’être humain dit-on, mais cet espoir lorsqu’on referme ce livre semble si ténu, si incroyablement ténu….