L’argent et les mots – André Schiffrin – La Fabrique

Après « l’édition sans éditeurs » dans lequel il dressait un portrait sans concession d’une profession en plein naufrage, André Schiffrin poursuit sous les bons auspices de son éditeur Eric Hazan son plaidoyer pour une culture globalement libérée du contrôle des groupes industriels  et des enjeux financiers. Une culture qui soit par contre un enjeu  politique, avec une prise de conscience des citoyens que pour s’assurer une indépendance réelle il faut passer par l’indépendance culturelle, la possibilité pour tous les acteurs culturels de ne pas être pris dans les rêts de l’économie de marché. On est loin, très loin de cette indépendance et c’est de ce danger que ce court essai d’André Schiffrin nous entretient avec art.

L’édition souffre, ce n’est une nouvelle pour personne, les grands groupes limitent durablement l’indépendance et la qualité de ce qui se publie, puisqu’il faut impérativement faire du chiffre, quant aux petites maisons elles doivent se battre pour exister auprès des imprimeurs et des médias, mais également sur les étals des libraires de moins en moins spécialisées. Pourtant il y a des solutions : la loi Lang qui garantit le prix des livres et que l’actuel gouvernement, toujours à l’affut de ce qui peut faire sourire les argentiers, cherche à faire disparaître, les réseaux de petites librairies, de publications universitaires, et parfois même le forcing étatique comme en Norvège, et le courage jamais démenti des amateurs de culture pour mettre en valeur une édition exigeante et brillante, pour soutenir les ouvrages de qualité et une édition engagée. Tout n’est pas perdu au royaume de la culture mais les combats s’annoncent particulièrement tendus.

Le nerf de cette guerre comme de toutes les autres sous nos cieux vert dollar c’est l’argent. Les grands groupes industriels qui achètent et vendent de la culture, de médias, de éditeurs et du cinéma comme de la rayonne ou du blé, n’ont pas le moindre égard pour la culture, l’intelligence et l’indépendance : ça ne rapporte rien tout ça, voire cela contribue à laisser un espoir aux esclaves qui doivent faire tourner les chaines de production et le système de la barbarie perpétuelle. Des journaux qui racontent tous la même chose, surtout quand il s’agit d’encenser le système en place et de vanter la dérégulation et les nécessaires ajustements, des films qui vous balancent du rêve convenu à consommer avec force pop corn et boisson gazeuse en habit rouge, et des livres où la niaiserie le dispute à l’absence du moindre style. C’est ça la vraie culture pour les Wendel, Murdoch, et autres patrons de trust. Et internet avec ses nouveaux tycoons, Google et consort qui sous couvert de mettre la culture à la portée de tous, choisissent en fait ce que vous devez, pouvez voir et comprendre.

Le danger est réel, la numérisation entre les mains de grands groupes pour qui le seul profit trouve grâce, risque de limiter encore la qualité de l’offre culturelle. Mais le danger principal vient des citoyens qui dans les démocraties ont encore le choix, encore la possibilité d’agir et d’exiger une culture libre et indépendante. Certes la culture est le dernier poste quand on a du mal à boucler les fins de mois, mais la liberté a un prix et ce prix doit être élevé, ce prix doit être partagé, ce prix doit être pour la culture, comme pour l’éducation ou la santé le synonyme de bien jolis mots, de mots bien difficiles à vivre apparemment : liberté, égalité, fraternité, liberté d’accès à la culture, égalité dans l’accès à la culture et fraternité dans le partage de la culture. Français, encore un petit effort si vous voulez devenir républicains…libres.

éclairage 1: Wikipédia ou l’art du grand néant http://bibliobs.nouvelobs.com/20100322/18449/le-gentil-khomeiny-raconte-par-wikipedia, à mettre en parallèle avec le propos de Schiffrin sur Wikipédia

éclairage 2: Sur Editis et les petits arrangements qui n’ont pas grand chose à voir avec le rôle attendu de l’édition: http://bibliobs.nouvelobs.com/20100322/18445/hachette-livre-denonce-un-coup-de-force-en-faveur-deditis

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