Rosa Montero – Belle et Sombre (trad. Myriam Chirousse) – Ed.Métailié.

J’ai dû reprendre ce roman deux fois. La première lecture m’avait laissée sceptique ou plus exactement peu intéressée. J’ai donc laissé le roman de côté. Pas d’humeur. Puis je l’ai repris, non pas là où je l’avais laissé mais au tout  début, la toute première phrase et là, j’ai été happée, totalement séduite par la beauté de l’écriture de Rosa Montero, une écriture charnelle, très évocatrice. Quant à l’histoire elle prend son essor avec beaucoup d’intelligence et une galerie de personnages très réussis, telle cette grand-mère, femme forte et fière ou la naine, improbable déesse. La petite fille qui arrive dans ce Quartier, lieu de toutes les perditions, va découvrir à la fois la laideur du monde et la beauté ineffable de l’affection. Rosa Montero nous convie dans cette nouvelle version de l’intemporelle et éternelle Cour des Miracles pour un roman mêlant habilement l’intrigue policière et le roman d’apprentissage.

Tout commence par une formidable première page, avec ces phrases qui vous saisissent « tout s’est passé à une époque reculée de mon enfance dont je ne sais plus maintenant si je m’en souviens ou si je l’invente : car en ce temps-là, pour moi, le ciel ne s’était pas encore détaché de la terre et tout était possible. » En quelques mots, l’auteur pose tout son roman, mélange de merveilleux, de légendes et d’une réalité des marges, aux limites de cette normalité où nous plaisons tous. En revoyant le film After Hours, j’ai repensé à ce roman de Rosa Montero, même plongée de l’autre côté du miroir. La petite qui a perdu sa mère et dont le père est en prison se retrouve dans un univers mystérieux aux côtés d’une grand-mère, figure emblématique d’un temps depuis longtemps disparu, avec sa tante, petit oiseau effrayé par le monde et par son mari, oncle de la petite fille, petite crapule, qui semble avoir touché le jackpot. Il y a son cousin, le pauvre Chico, enfant trop sage et trop effacé, qui tente d’exister contre son père et face aux petites frappes du Quartier. Et puis la Belle, la Magique Aurelai. Une naine, plus exactement une lilliputienne, aux proportions parfaites, au visage somptueux, qui, auprès de l’oncle de la fillette anime le quartier de ses tours de magie.

Dans cette famille de saltimbanques réfugiés dans un ancien hôtel, la petite fille découvre la vie réelle et ses terreurs, la vie rêvée et ses infiltrations dans la réalité pour y déposer des pépites de merveilleux. Ecoutant religieusement les histoires de sa grand-mère, la suivant dans ses pérégrinations dans les cimetières, elle apprend la valeur du temps et la nécessité de garder vivant le nom de gens pour garder leur mémoire. Les histoires de la belle Aurelaï sont une source inépuisable d’étrangetés et de rencontres avec l’âme du monde. Les deux la protègent contre la découverte du monde brutal incarné par son oncle et ses dangereux associés et rivaux.

Une histoire de paradis perdus, de règlements de compte et d’apprentissage où le merveilleux côtoie la laideur. La petite fille trop vite grandie dans cet univers corrompu, découvre vite que « l’enfer n’est pas un lieu, mais un état. Un poison que nous portons tous. » Sa grand-mère et la mystérieuse naine l’accompagnent dans son apprentissage, la poussent chacune à sa façon vers la liberté, un monde où chaque décision compte, mais où on peut s’affranchir aussi de la laideur des chaines imposées par la terreur. A l’inverse de sa tante Amanda, la petite fille va apprendre à chérir cette dure et aventureuse compagne et ainsi prendre conscience de la grâce de l’amour véritable sous toutes ses formes. Une histoire magique. 

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